Quel est le défi qui vous motive au quotidien ?
Ce qui m’intéresse, c’est comment transmettre les connaissances sur le fonctionnement du cerveau au grand public tout en conservant la complexité du sujet. C’est notre complexité qui nous rend intéressants. Quand on parle du cerveau, on fait des simplifications qui nous font perdre ce qui justement est intéressant. C’est à nous, chercheurs, à prendre la parole pour le grand public. Faire simple, sans que ce soit simpliste. Faire complexe, sans que ce soit compliqué.
Quelles sont les choses qui vous surprennent encore ?
On se trompe énormément encore, et ça c’est très rassurant. On a encore tellement choses à découvrir, et c’est ça qui rend la chose intéressante. Notre cerveau aime les patterns, les schémas. Et c’est grâce à ça qu’on peut survivre. Quand on se prépare à quelque chose, on se prépare à ce qui a le plus de chance de se produire. Quand quelque chose d’imprévu se présente, ça peut être problématique. D’où l’importance de créer des systèmes qui nous préparent à des scénarios extraordinaires pour les systèmes actuels.
Comme la crise du Covid ou le réchauffement climatique ?
C’est un peu différent, car les épidémiologistes et les virologues annoncent des épidémies depuis longtemps, et le réchauffement climatique était déjà identifié dans les années 50. C’était donc prévu, mais le problème, c’est que l’information ne circule pas assez !
Selon Eliezer Yudkowsky, chercheur en intelligence artificielle, il y a trois scénarios qui peuvent mener à des situations catastrophiques pour un système :
- le premier, c’est quand les personnes qui décident ne prennent pas les bonnes décisions parce qu’elles n’ont pas intérêt à le faire ;
- le deuxième, c’est quand on a la bonne décision mais qu’on n’a pas assez de coordination pour pouvoir la mettre en place (on est tous d’accord sur ce qu’il faut faire, mais on est tellement nombreux qu’on n’arrive pas à se coordonner) ;
- le troisième, c’est ce qu’il appelle les informations asymétriques : il y a des personnes dans le système qui ont les bonnes informations mais qui n’arrivent pas à les transmettre assez vite pour arrêter la catastrophe. Comme le Covid ou le réchauffement climatique.
Et qu’en est-il du concept du cygne noircygne noir ?
Il ne faut pas confondre les choses qui ont peu de chances d’arriver et celles qu’on ne peut pas prédire par définition. Dès qu’on peut les prédire, ce n’est plus un cygne noir. Comment est-ce que je peux créer un système qui peut être résistant à des choses que je ne peux pas prédire ? Avoir Une bonne communication, une bonne cohésion, la capacité de savoir bouger tous ensemble de manière efficace comme c’est le cas à l’armée. Ils ne savent pas d’où le danger va venir, mais ils sont parés à toutes les situations. Même chose pour les missions pour l’espace.
Notre vie est donc basée sur des suppositions en permanence. Sans ces suppositions, on ne peut pas survivre ?
En effet : par exemple, quand je dois traverser la rue, j’ai des suppositions sur le fait que les voitures ne se téléportent pas, ne peuvent pas faire monter à 150 km à l’heure en quelques secondes, etc., donc je prédis la vitesse d’une voiture basée sur mes suppositions. Je connais suffisamment de choses sur le déplacement des objets dans l’espace, la gravité, pour savoir que je peux traverser la rue sans me faire écraser. Même chose quand je marche, quand j’attrape des objets. La stabilité des objets dans l’espace, c’est le niveau zéro de la supposition. Et faire des tours de magie, c’est prendre à contrepied de suppositions très ancrées comme celles-là.