Quelles sont les transformations majeures du marché de l’art pour les années à venir ?
Suite aux nouvelles réglementations et à l’adaptation accélérée du marché de l’art à un nouvel environnement à distance, la transparence et la digitalisation sont les deux forces majeures du changement à venir. Ces deux tendances s’influencent d’ailleurs mutuellement. L’impossibilité de contact physique promeut l’affichage des prix en ligne par les galeries, une nouvelle pratique que se réservaient les acteurs du marché secondaire dans le passé. Cette transparence naissante représente un signal positif pour évaluer la performance du marché primaire et mettre les collectionneurs en confiance.
Pour ce qui est de la digitalisation, on l’a déjà remarqué avec une augmentation importante des ventes en ligne en 2020 qui, selon Artprice.com, The Art Newspaper Podcast et Fine Art Group, représentent 25 % du chiffre d’affaires global pour l’année, doublées par rapport à 2019. Cette proportion risque d’augmenter encore de façon exponentielle, portée par la nouvelle génération de collectionneurs et les avancées technologiques. La digitalisation du marché s’étend aussi vers les nouvelles formes d’art comme les Non Fungible Tokens, ou NFT qui font usage des cryptomonnaies et des réseaux sociaux pour délaisser les intermédiaires traditionnels. Il est encore difficile de les définir comme œuvres d’art, et trop tôt pour envisager leur pérennité. Rien n’indique cependant qu’ils ne pourront perdurer dans le temps et devenir, à terme, un courant artistique à part entière. Représentent-ils le dernier bastion du « low-art », ou deviendront-ils une nouvelle forme de pop-art aux esthétiques warholiennes ? Les impressionnistes étaient décriés à leur début. Cela ne les a pas empêchés de devenir un des mouvements artistiques les plus transcendants de l’Histoire de l’art. Qui seront les acteurs de demain ?
Le passage vers la nouvelle génération de collectionneurs a déjà commencé, comme l’ont montré les 25 % d’acquéreurs Millenials âgés de moins de 40 ans chez Sotheby’s en 2020. Cette même année, selon the Fine Art Group, 30 % d’entre eux ont acheté pour plus d’un million de dollars, contre 17 % seulement pour les baby-boomers. Ces nouveaux collectionneurs affichent d’ailleurs un goût très prononcé pour l’art « ultra contemporain ». Cette transition générationnelle se confirme aussi au niveau des artistes émergents et des tendances actuelles, avec une sorte de nouveau populisme influencé par les enjeux socioculturels et environnementaux. On le remarque avec la montée fulgurante des quotes d’artistes femmes et afro-américains, comme Amoako Boafo, Jamie Holmes et Christina Quarles, dont les noms figurent parmi les récents records de vente. Les ventes d’artistes de moins de 40 ans ont d’ailleurs grimpé de plus de 50 % en 2020 chez Christie’s, Sotheby’s et Phillips.
On observe aussi un schisme grandissant entre différentes catégories de collectionneurs.
- La nouvelle génération se concentre plus sur l’impact social, à la fois traduit par le message de l’artiste, mais aussi au travers de sa capacité à questionner le monde actuel.
- Les grandes fortunes en provenance des pays émergents quant à elles privilégient le buzz et la spéculation. On l’a remarqué avec l’édition de « Girl with balloon » de Banksy, vendu en mars à plus d’un million de dollars, pour laquelle la majorité des enchérisseurs provenaient d’Asie.
- Les grands collectionneurs quant à eux, s’orientent vers la durabilité, avec moins de transactions records et des plus longues périodes de rétention des belles pièces. La vente récente d’un Van Gogh pour 11,3 millions d’euros témoigne d’une stabilité saine des ventes « blue chips » et un retour des fondamentaux. Cela indique que le marché reprend son souffle, et sort peu à peu d’une aire de spéculation.
Peut-on imaginer un retour vers un (des) marche(s) local(aux) ?
De fait, on voit se dessiner un retour vers le local et une certaine régionalisation du marché qui risque de durer pour les années à venir. Ce phénomène est dû à la fois à un sentiment de nationalisme plus prononcé qui s’est redéveloppé ces derniers mois. À la différence de 2009, où il aurait été mal vu d’afficher une nouvelle acquisition importante, la crise de 2020 n’a pas eu les mêmes impacts. On observe une envie importante de soutien au secteur socioculturel, qui amène dès lors un regain d’intérêt pour les artistes émergents locaux. En conséquence, on s’attend à une réduction importante du nombre de foires d’art, de l’ordre des 30 %. Bien qu’exacerbé par les récents événements, ce phénomène d’ « art fairtigue » n’a fait qu’amplifier ces dernières années.
Ce retour au local quelque peu forcé s’accompagne indéniablement d’une nécessité de repenser l’accès à l’art. Cette consolidation grandissante des foires internationales, combinée à une régionalisation du marché bénéficiera aux conseillers en art. Les collectionneurs se déplaçant moins, le rôle de ces intermédiaires va prendre une importance considérable afin de garder un accès privilégié au marché. Leur réseau sera leur plus grand atout dans un marché digitalisé.