Ce droit de propriété regroupe classiquement 3 prérogatives juridiques séparables :
- L’usus : le droit de jouir de l’actif en question ;
- Le fructus : le droit de tirer des fruits de ce dernier, et ;
- L’abusus : le droit de disposer de la chose.
1. Le principe du démembrement de propriété
Le mécanisme dit de « démembrement » (du droit de propriété) (1) consiste principalement en la séparation de ces prérogatives en deux droits réels distincts, identifiables et valorisables détenus par au moins deux personnes physiques et / ou morales différentes :
- l’usufruit, réunion de l’usus et du fructus, qui est donc le droit à l’usage et aux éventuels rendements, et ;
- la nue-propriété, correspondant à l’abusus, assimilable à un droit à la pleine propriété différé.
Le démembrement de propriété peut être instauré à différentes occasions, notamment dans le cadre du règlement d’une succession, qu’elle soit ab intestat ou testamentaire, ou lors d’une donation d’un actif avec réserve de l’usufruit au profit du donateur ou encore au moment d’une acquisition conjointe en démembrement. Cette technique patrimoniale est souvent utilisée à des fins de transmission, tout en préservant les droits économiques et de jouissance de l’usufruitier, ce dernier étant en pratique le plus souvent le parent du nu-propriétaire.
L’extinction de l’usufruit engendre la réunion automatique des différents droits « en une seule main » pour reformer la pleine propriété.
2. Droits et devoirs de l’usufruitier et nu-propriétaire
Les prérogatives de l’usufruitier et du nu-propriétaire sont le plus souvent prévues par la loi.
Il est ainsi codifié à l’article 578 du Code civil français que « l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ».
Toutefois, que le démembrement de propriété porte sur un actif immobilier ou mobilier (portefeuille titres, contrat de capitalisation voire plus rarement contrat d’assurance-vie, titres de société patrimoniale ou opérationnelle, propriété familiale, œuvres d’art …), il est vivement conseillé de prévoir des aménagements conventionnels à ces prérogatives, dans la limite de la contrariété à l’ordre public et l’abus de droit, afin de faciliter l’administration des actifs démembrés et éviter des conflits futurs entre les parties.
3. Exemples d’aménagements conventionnels utiles
A titre d’exemples, non limitatifs, il pourra être prévu :
- s’agissant d’un compte-titres démembré, que l’usufruitier pourra seul prendre l’ensemble des décisions de gestion dudit compte (profil de risque, arbitrage, délégation de gestion, etc.) ;
- en matière sociétaire, de déroger aux droits de vote prévus par défaut entre usufruitier et nu-propriétaire concernant l’adoption des décisions collectives, les distributions de bénéfices mais aussi de report à nouveau et réserves, l’attribution des résultats exceptionnels, le droit au boni de liquidation, la nomination et révocation des dirigeants sociaux, etc. ;
- en matière immobilière, de préciser les contributions aux charges et paiement des impôts locaux ;
- ce qu’il adviendra du produit de cession en cas de vente de tout ou partie de l’actif démembré, souvent dans la droite ligne de ce qui aura préalablement été indiqué dans l’acte de donation si la création du démembrement a été faite entre vifs.
4. Le démembrement dans une opération patrimoniale transnationale
Bien connu des contribuables et praticiens, notamment belges, français ou encore suisses, le démembrement de propriété doit faire l’objet d’une attention particulière dans un contexte international.
En effet, ce concept n’est pas toujours connu à l’étranger. Ainsi, procéder à un démembrement sans prendre garde à ses conséquences à l’international, c’est s’exposer à ce que le démembrement de propriété :
- soit ignoré ou analysé d’après la théorie dite de l’équivalence (2), et ;
- n’ait pas les effets patrimoniaux escomptés.
Dans les pays de droit romain, le démembrement de propriété sera la plupart du temps reconnu civilement. Ainsi, la Belgique, l’Espagne, la France, le Portugal ou encore la Suisse reconnaissent le démembrement et les praticiens pourront par exemple conseiller une acquisition familiale en démembrement dite parfois « acquisition scindée » ou une donation d’un actif avec réserve d’usufruit au(x) donateur(s) et éventuellement réversion de cet usufruit au profit du conjoint survivant.
Toutefois, les conséquences, notamment fiscales, d’une transmission en démembrement peuvent être fort différentes et doivent être analysées le cas échéant au regard des conventions fiscales applicables. Cela peut amener parfois les praticiens à opter pour des solutions patrimoniales alternatives.
5. Quelques points d’attention - Exemples
- Ainsi, la Belgique procède à une taxation d’un actif transmis en nue-propriété par donation sur la valeur du bien en question en pleine propriété au jour de la mutation, à l’inverse de la France par exemple (3). En contrepartie, et assez logiquement, « l’abandon d’un usufruit » réservé lors d’une donation n’engendre en principe pas de fiscalité en Belgique, alors que cette même opération est assimilée à une donation de l’usufruit, taxable en France en présence d’une intention libérale. Ce traitement différent explique en partie l’appétence des belges pour les donations en pleine propriété à charge de rente plutôt que les donations avec réserve d’usufruit. A noter que les donations belges à charge de rente ne sont pas , elles aussi, sans poser problème dans un contexte international.
- De même, il est fréquemment fait usage en France du quasi-usufruit, codifié à l’article 587 du Code civil et étendu par la pratique à des actifs parfois non consomptibles (4). A l’inverse en Belgique, bien que connu, ce concept est difficile d’utilisation pour un résident donateur belge du fait de l’imprécision des textes, de jurisprudences soufflant le chaud et froid et de décisions anticipées à risque, l’opération pouvant être qualifiée d’abusive suivant les cas. Au Portugal, la notion n’est en revanche pas connue en tant que telle.
- Evoquons également le droit espagnol qui prévoit qu’à l’occasion de l’extinction de l’usufruit, ce dernier est soumis en Espagne à taxation suivant des modalités dépendantes de l’origine du démembrement (acquisition à titre onéreux, acquisition à titre gratuit par donation ou décès). Ainsi, l’usage du démembrement ne permet pas en soit, au regard du seul droit espagnol, d’échapper au paiement des droits sur la valeur de l’usufruit. Cela explique le rare usage du démembrement dans un contexte juridique purement espagnol.
Comme illustré, le démembrement connait des traitements différents (en matières de donation, succession, mais aussi revenus etc.) dans des pays limitrophes, ou juridiquement proches, qui reconnaissent pourtant tous son existence.
En sus, l’absence de législation précise et de jurisprudences définitives dans certaines juridictions laissent place à de nombreuses incertitudes.
Ainsi, au Luxembourg, s’agissant de la taxation des revenus d’un actif démembré, il est par exemple indiqué à l’article 108 bis du LIR que : « le nu-propriétaire est réputé acquérir les revenus du bien qui est grevé de l’usufruit et les céder à l’usufruitier ». En conséquence, il convient de considérer par exemple que des dividendes issus d’un actif démembré seraient en principe fiscalement dévolus au nu-propriétaire en droit luxembourgeois ; ce qui ne serait pas sans poser d’éventuelles difficultés dans une situation transnationale.
6. Un concept juridique parfois même inconnu
Plus complexe encore, de nombreuses juridictions, pour la plupart extra-européennes, méconnaissent dans leur droit interne ce concept. C’est notamment le cas des pays dits de common law ou de droits « musulmans », sous réserve de certains particularismes et exceptions (ie. province de Québec, proper liferent en Ecosse).
Toutefois, cela n’empêche pas par exemple un résident fiscal britannique, majeur par hypothèse, de recevoir par donation de ses parents résidents belges la nue-propriété d’un actif immobilier en France. Dans ce cas, le démembrement sera pleinement efficace.
A l’inverse, il ne serait pas pertinent, ni sans conséquence, d’opérer un démembrement sur un actif britannique, ou pour un parent résident fiscal britannique d’effectuer une donation avec réserve d’usufruit sur un actif britannique, ou même étranger.
A l’aune de ces problématiques complexes, il apparaît indispensable de faire appel à des spécialistes internationaux pour avoir une approche globale et transfrontalière.
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