Comment les « droits numériques » peuvent-ils avoir un impact sur une politique d’investissement ? A priori, les deux ne semblent pas liés ?
Je pense qu’avant de répondre, il est d’abord nécessaire de définir ces fameux « droits numériques ». En réalité, il s’agit de nos droits humains que tout le monde connait de longue date. Vous me direz que c’est vague comme définition, mais si vous pensez par exemple au droit à la liberté de parole, liberté d’expression ou au droit à la vie privée, c’est déjà nettement plus concret. Notre rôle en tant qu’analystes financiers est de vérifier que les entreprises actives dans le numérique respectent ces droits dans leurs activités quotidiennes. Après tout, ces droits numériques font clairement partie d’une politique responsable au sens global du terme.
La liberté de parole est en effet d’actualité : on l’a vu et on le voit encore avec la problématique des anti-vaccins ou avec les Fake News dont on a beaucoup parlé sous le mandat de Donald Trump.
Exactement. Le sujet est plus que jamais d’actualité. Il faut aussi dire que deux vecteurs se renforcent en ce moment. D’une part, certains acteurs prennent une importance énorme dans l’offre digitale. Et ils sont de plus en plus scrutés par les autorités gouvernementales par rapport à leur impact sur ces droits numériques.
Vous faites allusion aux GAFA ?
Oui, bien entendu, même s’ils ne sont pas les seuls concernés. Et puis, d’autre part, nous constatons tous qu’une grande partie du débat public se fait sur le web. Il est donc plus que jamais indispensable d’estimer l’impact positif et négatif de ces acteurs sur ces droits numériques.
Mais justement, que fait le législateur à ce propos ?
Il ne reste pas les bras croisés. La Commission européenne a par exemple pris des mesures visant à modifier le business model de ces acteurs du numérique grâce au DSA (Digital Services Act et au DMA (Digital Markets Act). Ils ne pourront, par exemple, plus faire ce qu’ils veulent avec leurs algorithmes. Ils devront les rendre transparents ou davantage expliciter la manière dont ils organisent leur publicité ciblée. Nous ne sommes donc plus seulement dans un monde de modération des propos online, le législateur va plus loin aujourd’hui en impactant directement le business model de ces mastodontes numériques.
Comment, en tant qu’analyste, pouvez-vous évaluer l’impact positif ou négatif des entreprises concernées sur ces droits numériques ?
Nous avons nos propres outils d’analyse, mais nous nous faisons aussi aider par des ONG dont c’est la spécialité. L’idée est donc de renforcer notre analyse interne par cette expertise externe avec un seul but : avoir une idée plus juste de la maturité des entreprises analysées sur le plan du respect des « droits numériques ». Nous allons même plus loin : Degroof Petercam a rejoint une coalition mondiale d’autres acteurs financiers spécialisés dans l’investissement responsable. Notre but est de créer un dialogue avec des entreprises qui vendent de la reconnaissance faciale pour tenter d’identifier les bonnes pratiques et les partager avec d’autres entreprises.
Mais qui dit reconnaissance faciale dit aussi intelligence artificielle : est-ce que l’essor de cette dernière ne va pas encore plus renforcer les défis liés au respect des droits numériques ?
Tout à fait. L’intelligence artificielle impacte sans aucun doute nos droits humains et peut le faire de manière positive ou négative. Les entreprises concernées le savent bien. Et c’est la raison pour laquelle des entreprises comme Amazon ou Microsoft ont pris la décision d’établir un moratoire sur la vente de la technologie de la reconnaissance faciale aux forces de police. Vous voyez, le chantier des droits numériques est immense. Une politique d’investissement responsable doit les prendre en compte. C’est aujourd’hui une évidence.