L’urgence d’agir
Notre modèle de développement a permis des avancées considérables depuis deux siècles : réduction de l’extrême pauvreté, bien meilleur accès à l’éducation, avancées médicales impressionnantes… Mais, dans le même temps, ont émergé des dysfonctionnements écologiques et sociaux profonds.
Il faut l’exprimer clairement : notre système actuel n’est pas durable :
- Il est non soutenable, puisque fondé sur une utilisation croissante de ressources naturelles présentes en quantités limitées. À l’échelle de l’humanité, nous consommons aujourd’hui 1,6 fois les ressources produites par la planète chaque année. Nous avons franchi trois des “neuf limites planétaires”, compromettant ainsi la poursuite des activités humaines sur Terre…
- Il est non souhaitable, puisqu’il crée de l’exclusion, des inégalités, du mal-être, de la pollution, des dérèglements climatiques… à mesure qu’il crée de la richesse. Quelques chiffres frappants : 26 personnes détiennent de nos jours autant d’argent que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Un continent de plastique de plus de 1,6 million de kilomètres carrés flotte dans l’océan Pacifique. Les populations d’oiseaux ont chuté d’un tiers en quinze ans…
Qui peut dire que ce sont les signes d’un système désirable ? La décennie 2020 doit être celle de l’action pour inventer un nouveau modèle de société.
Nous en sommes convaincus : chacun a un rôle à jouer, quel que soit son parcours, son métier, son niveau d’étude. Mais certains ont une responsabilité particulière : celles et ceux qui ont un grand pouvoir d’agir et un grand potentiel d’influence.
Le levier du travail
On parle beaucoup des “petits gestes du quotidien” : trier ses déchets, consommer responsable, être bénévole dans une association… Ces actions sont absolument nécessaires, mais largement insuffisantes face à l’ampleur des défis.
Nous pensons que nous interrogeons trop peu l’impact de notre travail. Nous passons en moyenne 80 000 heures de nos vies à travailler… C’est considérable ! Mais vous êtes-vous déjà demandé : au service de quoi ? Vous êtes-vous déjà interrogé : quel est le réel impact de mon activité professionnelle ? Ce que je fais par mon travail fait-il partie du problème ou de la solution ?
Pour la grande majorité d’entre nous, la vie semble scindée en deux : le travail, la semaine, pour gagner sa vie. Et l’engagement, le soir et le week-end, “quand on a le temps”. Pourtant, il est possible de réconcilier les deux ! Il est possible d’être rémunéré pour faire avancer les choses dans le bon sens. C’est ce que nous appelons les carrières à impact.
Faire le choix de s’engager dans une carrière à impact, c’est choisir de mettre ses talents et ses compétences au service de la résolution de grands défis de société. Les possibilités sont extrêmement nombreuses, car en réalité nous avons besoin de tous les métiers (ingénieurs, financiers, artistes…) et de tous les talents (celles et ceux qui savent émouvoir, structurer, transmettre…). Les défis sont multiples, et dans tous les domaines : agriculture et alimentation, éducation, énergies, environnement, habitat, inclusion, lien social, mobilité, lutte contre la pauvreté, santé, travail et emploi…
Et la bonne nouvelle, c’est que s’engager permet de trouver un sens à sa vie et rend heureux.
Changer le système
Mais attention, il n’est pas facile de s’engager dans une carrière à impact. Car, en réalité, tout, ou presque, nous pousse à faire l’inverse. Voici cinq obstacles systémiques que nous rencontrons tout au long de nos vies :
- L’éducation : dès le plus jeune âge, notre système éducatif ne nous invite pas suffisamment à identifier nos talents et les mettre au service des enjeux de société.
- L’orientation : le système nous pousse traditionnellement à choisir notre orientation en fonction du salaire, du prestige ou encore de la sécurité plutôt qu’en fonction de nos talents, de nos envies personnelles ou de l’impact positif pour la société.
- La rémunération : il y a souvent une corrélation inverse entre rémunération et utilité sociétale. Autrement dit, les métiers les plus utiles à la société sont bien souvent les moins rémunérés, tandis que les métiers les plus rémunérés sont souvent au service d’intérêts privés, dans des secteurs souvent destructeurs de la planète.
- L’emploi : dans les chiffres du chômage, tous les emplois se valent : ils comptent pour 1… Mais du point de vue de l’intérêt général, tous n’ont pas la même utilité sociétale. Faire cliquer des gens sur des publicités, par exemple, n’a pas le même impact pour la société que faire de la recherche sur les énergies renouvelables. Il y a urgence à développer les emplois qui contribuent activement à la transition écologique et sociale, ainsi qu’accompagner la mutation des emplois existants.
- L’économie : la grande majorité de l’économie se développe aujourd’hui sans prendre en considération les limites de la planète. L’enjeu, c’est la transformation de l’ensemble de l’économie pour intégrer les dimensions écologiques et sociales (ESG) au cœur des modèles économiques. Aujourd’hui, au niveau international, 77 % des entreprises sont conscientes qu’elles doivent intégrer la responsabilité sociétale dans leurs pratiques… mais seules 18 % d’entre elles déclarent avoir mis ce sujet au cœur de leurs priorités stratégiques.
Il nous faut réussir un changement de paradigme. Mais comment faire pour changer un système ? Nos contributions peuvent-elles vraiment faire bouger les choses ? La réponse est oui !
Selon la théorie du point de bascule et selon certaines recherches, il faudrait entre 10 et 25 % d’une population pour changer un système – que ce soit un groupe d’individus, une entreprise, une société. “Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus engagés puisse changer le monde. En réalité, c’est toujours comme cela qu’il a changé” écrivait l’anthropologue Margaret Mead.
Passer à l’action
Voici trois stratégies pour vous engager dans une carrière à impact et accélérer la transition écologique et sociale par son travail :
- Transformer votre emploi actuel : vous êtes aujourd’hui en poste dans une organisation. Et si le meilleur moyen de changer les choses, c’était de rester là où vous êtes ? Comme Sébastien, vendeur chez Decathlon, qui a réussi à convaincre son directeur de magasin de ne plus proposer de bouteilles d’eau en plastique, et de les remplacer par une fontaine à eau filtrée et purifiée et la vente de bouteilles éco-conçues, réutilisables pendant plusieurs années. Aujourd’hui l’opération a été déployée dans plusieurs pays.
- Trouver un nouvel emploi : si vos marges de manœuvre sont trop étroites pour réinventer votre métier, peut-être chercherez-vous un emploi où vous contribuez plus directement aux défis de société qui vous touchent. Comme Mathilde, qui est passée du marketing pour une marque internationale à un poste de responsable marketing pour l’entreprise sociale La Vie Est Belt, qui conçoit des accessoires de mode en matières revalorisées, confectionnés par des personnes en situation de handicap.
- Créer votre emploi : si vous n’avez pas trouvé d’emploi qui corresponde à vos aspirations, peut-être faut-il songer à le créer en devenant entrepreneur. Comme Marie et Antoine, co-fondateurs de WeDressFair, une entreprise sociale qui met en avant les marques réellement engagées de l’industrie textile. Ils ont ainsi créé leur propre job à impact et contribué à créer ceux de leur équipe de dix personnes.
Voici le défi du XXIe siècle : inventer un nouveau modèle de société, plus juste, plus solidaire et plus durable. C’est la seule voie de progrès pour bâtir un monde pacifié. Pour cela, nous devons réussir une grande transformation écologique et sociale de notre système actuel.
Nos vies professionnelles en seront des accélérateurs. Ou des freins. Prenons-en conscience. Et choisissons. Décidons de mettre nos talents au service de ce qui compte vraiment. Chacun de nous peut faire la différence, avec notre singularité, nos marges de manœuvre respectives, nos envies et nos contraintes personnelles.
Nous passons en moyenne 80 000 heures de nos vies à travailler. Et vous, qu’allez-vous en faire ?