Malgré cette première jurisprudence, l’administration fiscale belge rejetait majoritairement les demandes en restitution introduites sur la base de cet arrêt.
L’arrêt du 15 octobre 2020 : un second échec aboutissant sur une circulaire très restrictive
La Cour de cassation belge ayant de nouveau rendu un arrêt sans équivoque en faveur des contribuables, le Ministre des finances annonçait dans la presse² que « l’administration fiscale accepterait désormais d’imputer sur le précompte mobilier belge, une partie de l’impôt français comme le prévoit la Cour de cassation dans un arrêt du 15 novembre dernier ».
Toutefois, les contribuables ont pu constater avec désarroi, lors de la publication d’une circulaire du 28 mai 2021, la position restrictive³ de l’administration dans la mesure où l’imputation de cette QFIE sur l’impôt belge était subordonnée à la déclaration à l’impôt des personnes physiques du montant du dividende de source française, même dans le cas où, en raison du fait que celui-ci avait été versé sur un compte bancaire détenu en Belgique, il avait été soumis au précompte mobilier « libératoire ».
Le terme « libératoire » signifie que lorsqu’un revenu mobilier (en l’occurrence un dividende) a été soumis au précompte, le contribuable ne doit en principe pas déclarer ce revenu dans sa déclaration fiscale à l’impôt des personnes physiques.
Or, selon les exigences administratives publiées suite à la jurisprudence favorable de la Cour de cassation, si les dividendes (qu’ils aient été précomptés ou non) n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration à l’impôt des personnes physiques, l’administration fiscale refusait l’imputation de la QFIE sur l’impôt belge.
Ce point de vue administratif ne trouvait cependant appui dans aucun texte légal.
Outre une exigence de forme, s’en suivait également un délai d’action relativement court pour les dividendes perçus avant 2020 (qui en l’absence d’instruction administrative n’avaient en pratique pas été déclarés).
En effet, l’administration fiscale précisait dans ladite circulaire que pour les dividendes perçus antérieurement à 2020, la demande d’imputation « devait faire l’objet d’une réclamation introduite dans les six mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit la date de l’avertissement extrait de rôle relatif à la cotisation comprenant l’imposition des dividendes » (autrement dit, il fallait suivre la procédure ordinaire de réclamation qui devait être introduite à l’époque dans un délai de six mois ⁴).
Cette position très contestable a logiquement fait l’objet de nouveaux contentieux devant les cours et tribunaux, lesquels ont parfois donné raison à l’administration fiscale, parfois au contribuable.
Tel est notamment le cas de la Cour d’appel de Gand, qui a rendu en date du 15 décembre 2020 un arrêt favorable au contribuable en faisant droit à sa demande de récupération de la QFIE sur les dividendes précomptés (mais non déclarés) de 2014 à 2017.
La même Cour a, en revanche, suivi la thèse administrative dans un arrêt ultérieur du 5 octobre 2021.
Les deux arrêts ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation (le premier, introduit par l’Etat belge, le second par le contribuable).
Les deux arrêts de la Cour de cassation du 23 novembre 2023 : échec et mat ?
Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation confirme qu’une disposition⁵ de droit interne ne peut faire échec à une stipulation conventionnelle conformément au principe de primauté du droit international.
Par conséquent, l’argument de l’administration consistant à subordonner le remboursement de la QFIE à une stricte procédure déclarative ne peut être opposé au contribuable, de surcroit dans la mesure où aucun texte ne le prévoyait clairement avant la publication de l’instruction susmentionnée.
Ainsi, la Cour conclut que la QFIE doit être restituée quand bien même le dividende de source française a fait l’objet d’un précompte mobilier libératoire et n’a pas été mentionné lors de l’établissement de la déclaration d’impôt des personnes physiques comme l’exigeait l’administration.
Portée de cette nouvelle jurisprudence et modifications à venir
Suite à ces arrêts de la Cour de cassation, l’administration fiscale n’est plus autorisée à exiger la déclaration des dividendes précomptés pour accorder le bénéfice de la QFIE.
Une réclamation en ce sens introduite par le contribuable suffit. En ce qui concerne le délai dans lequel cette réclamation doit être introduite, il semblerait, à lire l’arrêt de la Cour d’appel de Gand du 15 décembre 2020 confirmé par la Cour de cassation, que le délai de 5 ans prévu par le Code⁶ puisse être appliqué.
En pratique, cette nouvelle jurisprudence permettrait donc aux contribuables de revendiquer le bénéfice de la QFIE sur les dividendes précomptés et non déclarés perçus en 2019 (qui par hypothèse n’ont pas fait l’objet d’une déclaration, ni d’une réclamation). Il en est de même bien entendu de la QFIE sur les dividendes précomptés qui n’auraient pas été déclarés postérieurement depuis 2020.
Elle devrait également permettre aux contribuables qui ont des réclamations administratives ou procédures judiciaires en cours (par hypothèse pour les dividendes de source française perçus en 2019 ou antérieurement), d’avancer de nouveaux arguments en vue d’obtenir gain de cause.
A noter que d’autres Etats sont liés à la Belgique par des stipulations similaires à celles de la Convention franco-belge en matière de dividendes. C’est notamment le cas de l’Italie, l’Irlande, Israël, la Finlande et la Norvège.
Enfin, il est à souligner que la nouvelle Convention fiscale belgo-française⁷ du 9 novembre 2021 qui devrait entrer en vigueur au plus tôt en 2025, supprime ce mécanisme de crédit d’impôt. Par conséquent, la pression fiscale sur les dividendes de source française devrait être portée à 38,96% contre 30% pour un dividende de source belge. Espérons cette fois que les instances européennes volent au secours du contribuable belge !